Petit d'homme...

Samedi dernier voyage en RER jusque chez Anne. Le trajet dure une heure vingt minutes durant lesquelles habituellement je m'enferme de façon hermétique jusqu'à destination dans ma bulle musicale , regard perdu sur le paysage lequel passe au fil des stations du vert bucolique au gris-béton citadin...heureusement comme le train part en bout de ligne j'ai tout loisir chaque fois de choisir mon siège près d'une vitre. Comme d'habitude à mesure que le wagon se remplissait je m'enfonçais peu à peu dans un confortable cocon, les oreillettes bien en place diffusant l'intégrale de Sting...et puis je ne sais plus à quelle gare, mais c'était bien avant Paris, un homme portant un nourisson dans ses bras, monte et s'assoit face à moi . Le gars  pas tout jeune m'a fait penser à ce prof de techno de mon adolescence dont j'ai gardé un bon souvenir. Cheveux longs noirs grisonnants attachés en catogan , visage heureux un peu marqué, rasé de l'avant-veille , veste usée de cuir et jeans, il tenait d'une façon à la fois légère mais assurée son jeune bambin de quelques mois à peine. J'écris bambin car je n'ai pas su son âge ni son sexe , le papa attentionné et moi n'avons échangé aucune parole mais juste quelques regards complices , moi le vieux ayant connu ces moments inoubliables de tendresse infinie partagée avec ma fille et lui les découvrant. Le petit d'homme me fixait, enfin plutôt mon casque d'écoute que moi , avec le regard intense d'un astronaute explorant une planète inconnue. Sans me forcer je fis en sorte que cette planète lui semble chaleureuse et hospitalière. Il m'offrit alors de larges sourires purs et innocents , d'une candeur cristalline , comme pour me dire combien il avait foi en ses semblables adultes...à un moment donné Sting qui chantait toujours à mes oreilles a entonné " All this time" . J'ai regardé alors l'enfant longuement, lui souhaitant du fond du coeur de garder cette foi le plus longtemps possible , que la vie lui soit riche de bonheur autant que son regard l'était de joie de vivre. Sans qu'à aucun instant l'enfant n'ait manifesté d'impatience son père parfois le tenait debout droit sur ses genoux , pour l'exercer à sa future condition de bipède je crois. L'enfant jubilait, son père était aux anges devant son ange à lui. Une femme âgée assise en face d'eux elle aussi les couvait d'un regard bienveillant. Les vêtements du petit, faits maison, lui conféraient une mise un peu canaille qui le rendait irrésistible, ajoutant à son charme . Quand je suis arrivé chez Anne, d'emblée elle m'a dit " Tu as l'air coquin d'un gosse à qui on a promis des bonbons ". Oui pour sûr ce gamin et son père m'avaient offert de beaux instants. Lorsqu'ils sont descendus du train, j'ai pensé au petit d'homme de ma fille , Lilian , là-bas si loin, trop peut-être , qui depuis longtemps n'est plus un nourrisson. Le temps n'a pas effacé nos instants à lui et moi , mais il m'a rappelé combien ils étaient précieux.

ps : ci-joint une photo de nous deux que j'aime beaucoup, sur laquelle son air grave ,méditatif voire nietzschéen , est dû à son observation minutieuse d'un canard qui pataugeait allègrement plus bas.